Chapitre
1
Il
est 6h33, c’est le matin, Rouen s’éveille sous la brume, il fait
froid. Divers manuels s’affairent devant les magasins. La ruelle
est à une centaine de mètres à droite de la gare, elle est sombre,
trop étroite pour le passage d’un véhicule, cinq immeubles la
constituent de chaque coté. Un peu avant la fin de celle-ci des
policiers travaillent sur la scène de crime. Ce matin un appel
d’Hervé, le sous brigadier, m’a extirpé d’un rêve, banal, un
de plus. Il m'a dit qu’un corps gisant sur le sol a été retrouvé
dans une ruelle proche de la gare.
L’immeuble
en face duquel se trouve le corps est de type haussmanniens, il fait
quatre étages. Au premier des plantes vertes sont entassées sur un
balcon étroit. D’épais rideaux pavés de fleurs m’empêchent de
voir l’intérieur, une femme habite ici, certainement une jeune
femme qui n’est plus étudiante depuis peu, j’aurais aimé en
voir davantage. Au second, la lumière resplendit dans l’appartement
et un jeune Homme prend des photos, je perçois un amusement
sur son visage, un jeune homme banal, heureux de voir son existence
bouleversée. Les cadavres en amusent certains. Le troisième étage
ne semble pas habité, pas de volets, de rideaux, on distingue des
murs.. blancs, et rien d’autre. Face à cet appartement dénué
d’intérêt, je remarque sur le coté de la fenêtre, que la
matière de la roche qui compose le mur du bâtiment est singulière
et m’intrigue, elle semble vitreuse, humide, comme si une fine
couche d’eau la recouvrait constamment. C’est alors que tout
naturellement, j’en viens à admirer le quatrième appartement,
dans les combles, une chaleur se dégage de celui-ci, serait-ce ce
jeune couple qui boit son café à la fenêtre?
La fumée de ma
cigarette me rappelle.
A quelques
pas de moi se trouve un Homme, la quarantaine bien trempée, d’après
les légers rides sur son visage et les quelques cheveux blancs qui
commencent à perler sur son crâne. De plus, le dessus de sa main
commence à recevoir ces plis qui vous rappellent que vous n’en
êtes plus à votre première carie. Il est vêtu d’un gros pull
gris foncé, et d’une veste marron de faux cuir usé, il porte
aussi un jean troué à la base et de grosse chaussure de randonneur
beige, bien que dépareillées cela n’est pas choquant, par contre
nous savons désormais que notre victime est un SDF.
Ce qui était plus
troublant, c’est la raison pour laquelle il est mort, sa tête a
visiblement été arrachée de son corps.
CHAPITRE
2
«
Inspecteur » me dit Hervé.
- « Vous voila enfin! J’ai quelque chose d’assez surprenant à vous dire ». Je ne le laissa pas finir sa phrase.
- « Vous savez Hervé dans un milieu où le mauvais vin fait la loi, rien ne peut m’étonner.» J’étais, je dois l’avouer, assez fière de moi.
- « Oui mais là c’est vraiment bizarre, nous n’avons pas retrouvé l’arme du crime » me répliqua-il.
Ennuyé, je demanda au médecin légiste ce qu’il en pensait: - « Je ne peux me prononcer pour l’instant, néanmoins ce qui est troublant c’est que les déchirures à la base de son cou ne sont pas assez nettes et précises pour qu’une lame ait fait cela, en fait je ne vois pas quel arme aurait pu couper une tête comme ceci, la coupure est brouillon ». Sur ces mots il rassembla son matériel et partit dans son véhicule, dans quelques heures il sera, je l‘espère, plus bavard. C’est vrai que cette tête parait avoir été arrachée avec hargne. A moins d’un mètre du cou se trouve celle-ci, raccrochée à la colonne vertébrale.
Il faut
retrouver l’arme du crime, j’ai comme une désagréable
sensation, je n’ai pas envie de me faire chier toute une semaine
sur le crime d’un SDF pour à la fin savoir que lui et un de ses
acolytes se sont entre tués sous le dictât d’un pinard de la
Communauté Européenne.
- « Hervé » dis-je avec force.
- « fais interroger tout les SDF que tu trouves aux alentours, je veux savoir s’ils connaissent cette homme, s’ils l’ont vu le soir du meurtre, bref, tu connais ton métier, je veux tout savoir sur eux, leur possible relation avec la victime, toutes les anecdotes sur cette rue, s’il avait des ennemis, des antécédents, un passé décent. Envoi aussi une équipe fouiller, à un kilomètre à la ronde s’il le faut, pour retrouver l’arme du crime. »
Je me retournai aussitôt, pour m’enfoncer dans ma voiture direction le commissariat. Je connais Hervé depuis longtemps, il travaille avec moi depuis son arrivée au poste, il fait ce qu’on lui demande, c’est un brave gars.
Chapitre
3
Le commissariat se
trouve sur la rive gauche de Rouen, peu avant St Étienne du Rouvray.
.Il est petit
et se situ au rez-de-chaussée d’un immeuble quelconque, dans
l’entrée se trouve un secrétariat, avec un desk et sur le coté
des chaises pour s’asseoir, ensuite s’en suit un long couloir, un
bureau de chaque coté et une pièce d’archive au fond.
La voiture garée.
Je franchi les portes coulissantes, la tête baissée, une voix
nouvelle me la fit lever. Une magnifique brune se tenait devant moi,
drapée dans un long manteau noir. Une écharpe blanche surplombait
ses seins cachés dans un pull, son cou était visiblement chaud, ses
lèvres dansaient brillamment au rythme du chant de sa voix. Elle
avait les yeux verts, recouverts d’une fine couche transparente qui
leur donnait un éclat semblable à ce coucher de soleil que j’adore
admirer l’été quand le jaune et le rouge s’aimant, s’enlacent
en s’endormant. Au centre s’émerveillait de se trouver dans un
tel état de grâce, une étoile. Les joues rougies par le froid et
de longs cheveux bruns lui caressant le haut du dos venaient finir de
combler ce tableau. Elle avait un corps à faire pleurer le pape.
Balbutiant, je lui
ai demandé ce que je pouvais faire pour elle. Elle me répondit
qu’elle était stagiaire et qu’elle était ici pour une semaine,
à sa demande. Chaque sourire, en plus d’être somptueux, sortit de
ses deux lèvres que seul la
nuit ne peut voir, convenait avec aisance aux phrases
qu’elle prononçait. J’ai tout de suite pensé qu’elle était
étudiante et que ce stage était une erreur, sa beauté ne pouvait
pas la laisser entreprendre une carrière aussi décevante. Elle
était des nôtres, mais destinée à nous surplomber.
Hervé m’a dit
par la suite que c’était une stagiaire de 22 ans qui nous suivrait
pendant une semaine, qu’il n’en savait pas plus et que si je
voulais le savoir je devais voir avec Thibaud mon supérieur. L’idée
me glaça le sang. J’aime assez ne pas savoir qui elle est, elle
sera là à mes coté, voila ce qui m’importe.
Je lui ai expliqué
l’affaire en cours, elle s’en est amusé, elle était joyeuse,
impatiente.
Nous sommes montés
dans ma voiture, je devais aller à l’hôpital voir le
médecin légiste. L’atmosphère était glacial, j’étais là,
crispé au volant de ma voiture, quand elle a prononcé ces quelques
mots « vous aimez votre métier? ». J’étais partagé,
dois-je réellement lui faire savoir que tout comme les morts avec
lesquels je passe mes plus belles journées, ma vie n’était que
futilités et banalités avec qui j’ai lié une amitié certaine,
trop paresseux pour lutter ? « Oui, le plus beau c’est
le visage des familles vous remerciant d’avoir retrouvé
l’assassin! C’est pour ça que j’ai voulu faire ce métier! »
En disant cette phrase tout droit sortie d’un feuilleton policier,
je pensais avoir fait au plus juste, seul son silence triompha. Je
m’en suis voulu, pensant à pleins de phrases bien meilleures que
j’aurais pu dire. Nous sommes arrivés à
l’Hôpital.